« MATIERES INSTABLES »
Claire GUANELLA, dessin, peinture et installation

Claire Guanella s’est initiée à la céramique et à la peinture en Angleterre (Londres, 1973-1974), aux arts textiles en Suisse (Lausanne, 1983-1986) et à l’art du papier aux Etats-Unis (Boston, 1987). De retour en Suisse au début des années 1990, elle occupe le lumineux atelier de la rue des Moraines à Carouge (GE) qu’elle a dû quitter récemment. Les œuvres récentes de l’artiste sont donc les protagonistes d’une période de renouveau.
Claire Guanella travaille par thématiques, de manière presque acharnée et jusqu’à épuiser chacun de ses sujets qui l’occupent à chaque fois pendant plusieurs années avec, comme ligne rouge, le paysage et ses errances, et une attention toute particulière portée aux différentes formes terrestres, qu’elles soient végétales ou humaines, minérales ou bactériennes. Ses œuvres récentes (2019-2021) sont principalement guidées par les éléments minéraux de l’eau et de la montagne, avec leurs chutes et leurs jaillissements. Que nous évoque l’impact au sol d’une pierre ? Et le roulement des galets lissés par les fonds d’une rivière ? Ici, les cailloux, les minerais, la terre et l’eau sont toujours en mouvement, tout comme l’humain d’ailleurs qui apparaît parfois, comme ces danseuses dépeintes surtout pour le déplacement du vêtement et de l’air qu’elles produisent en bougeant. Et puis il y a le mouvement du corps de l’artiste aussi quand celui-ci œuvre sur les grands formats qui l’engagent tout entier.
Chacune des séries qui sous-tendent l’ensemble est traversée par une couleur, celles que fabriquent les métaux contenus dans la pierre : le bleu cobalt à la fois fascinant et inquiétant – l’artiste se souvient avoir été soignée par irradiation au cobalt quand elle était enfant – ou le rouge bauxite, minerai d’aluminium qui teint parfois les paysages du sud de la France et ses architectures. Si l’artiste aime la matière c’est aussi par réminiscence de sa formation première en biologie moléculaire : sa fascination pour la composition et la structure des êtres, révélées par les vues au microscope. C’est une attention aussi portée sur le potentiel et le danger des minerais, et l’inquiétude encore face à l’épuisement des ressources naturelles… Comment réparer les dégâts ?
Exécutées le plus souvent à l’acrylique, au graphite et à la craie sèche, rehaussées parfois de collages, les œuvres de Claire Guanella sont tantôt réalisées sur papier tantôt sur toile, ou encore sur des plaques de carton artisanal, et sont accompagnées d’installations de moulages en terre crue.
Quand elle dessine sur le papier qui permet des gestes nerveux, l’artiste confronte la douceur et la légèreté du trait de graphite ou de la craie à la force de la couleur qui révèle le potentiel des matières tirées de la terre, comme dans la série des Sédiments où le rouge acrylique surgit du papier bambou comme d’une blessure. Quand elle œuvre sur la toile ou sur les grandes plaques de carton qui ressemblent à de l’ardoise, le geste se fait plus ample et plus lent : l’artiste verse d’abord la couleur liquide puis opère des collages de plaques d’acrylique semblables à du métal. Se joignent ensuite à la composition la mine de plomb et le pigment sec pour accentuer les tracés accidentels et les coulures de la couleur. Matières instables et ambiguës qui se transforment en paysages d’eau et de gaz, de boue et de roche.
Et puis il y a les sculptures aussi : des pierres creuses amassées comme un éboulis de montagne à nos pieds. Elles sont assez grandes pour être chacune embrassée. La terre crue en grès chamotté a été enduite de matière grasse, d’acrylique et de craie. Certaines sont disposées en ligne comme pour reconstruire un mur, ou une liaison plutôt. Entre les humains. Entre la Terre et nous. La ligne est presque toujours là dans le travail de Claire Guanella : un chemin, la trace d’un passage, qui fait comme une couture – résurgence du textile - qui répare les paysages imaginaire de l’artiste.

Clotilde Wuthrich
21.09.2021
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